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On ne saurait présenter une hausse de l'inflation comme une catastrophe, bien au contraire: voilà plusieurs années que les banques centrales, surtout en Europe, se désolent de son niveau trop bas. Pour elles, l'inflation devrait se situer un peu en-dessous de 2%. Parce si une inflation trop élevée est un désastre économique, comme l'ont prouvé les années 70, une inflation quasiment nulle ne vaut pas vraiment mieux. L'idéal, c'est donc une petite inflation, de l'ordre de 2%, qui permet aux entreprises d'ajuster leurs prix et donc de prospérer... en principe pour le bien de tous. Autre avantage, qu'on ne clame pas sur tous les toits: l'argent se déprécie en catimini et la dette des États s'allège dès lors progressivement. A condition bien entendu que les taux d'intérêt ne suivent pas! C'est là toute la question, pour les États comme pour les autres emprunteurs. Que faut-il en penser? Premier point: qu'en est-il sur le front de l'inflation? Prenons à témoin les États-Unis, qui sont en avance sur l'Europe au niveau de la relance économique... et donc de l'inflation. La hausse des prix de détail y a atteint 4,2% en avril, à un an d'écart. C'est le taux le plus élevé depuis 2008 (et même depuis 1992 si l'on retient le chiffre de l'année calendrier) et c'est sensiblement plus que les 3,6% attendus. Par ailleurs, on vient de 2,4% en mars, après 1,7% en février et 1,4% en janvier. L'inflation a donc triplé en trois mois, ce qui n'est pas passé inaperçu... L'énergie serait-elle le moteur principal de cette hausse? Le cours du baril de pétrole avait brièvement chuté aux environs de 20 dollars en avril 2020, conséquence de l'arrêt de l'économie suite à la pandémie de Covid-19, et il ne dépassait guère les 40 dollars jusqu'au début novembre dernier. Le fort rebond de l'activité au cours des tout derniers mois l'a toutefois propulsé à 70 dollars le baril. Explication logique et simple retour à la situation antérieure? Pas vraiment. Outre que le pétrole a dépassé ses niveaux de 2019, il n'est pas seul en cause, loin de là. Indicateur intéressant: le taux d'inflation corrigé, c'est-à-dire abstraction faite des prix très volatils de la nourriture et de l'énergie, dont les statistiques américaines font grand cas. Or, cette inflation-là se situe encore à 3% en avril, alors qu'on attendait 2,3% seulement. Force est donc de constater que la hausse des prix se présente sur un front très large. Voyez les matières premières: le cuivre a doublé en un an et tant l'acier que le bois de charpente ont fait "mieux" encore. On relève parfois un simple rattrapage après la chute du printemps 2020, mais il est fréquent que la hausse aille au-delà. Et elle concerne même le citoyen dans sa vie de tous les jours. L'indice des matières premières alimentaires utilisées dans le breakfast anglo-saxon (avoine, blé, café, jus d'orange, lait, porc et sucre) a grimpé de 32% au-delà de son niveau de 2019, relevait récemment le Financial Times. Shocking! Deuxième point: s'agit-il d'un feu de paille ou d'une évolution durable? Les avis sont un peu partagés, le consensus tablant toutefois sur un phénomène relativement temporaire, limité à cette année 2021. "On constate que la hausse de l'inflation n'est pour l'instant pas structurelle", souligne Koen De Leus, chief economist de BNP Paribas Fortis, "mais liée aux perturbations qui frappent les chaînes d'approvisionnement, en plus des effets de base purement statistiques (lire encadré ). La relance étant très brutale, les prix des matières premières ont flambé. Le rythme de cette relance va toutefois ralentir, ce qui atténuera la pression sur les approvisionnements et les prix".A quelle échéance? Pas dans les tout prochains mois, explique l'économiste, mais plus progressivement, au fil des trimestres à venir. L'inflation moyenne de l'année 2021 restera dès lors bien plus élevée que celle des années précédentes. Soit, pour fixer les idées: 2,5% cette année en Europe, avant de descendre à 1,5% en 2022. Ce sont là les prévisions de BNP Paribas, précise Koen De Leus. L'inflation serait plus menaçante si les salaires augmentaient à leur tour. On sait que c'est déjà un peu le cas aux États-Unis où, pour répondre à la pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs, plusieurs groupes ont proposé des hausses non négligeables. "On relève des opinions divergentes, mais au niveau des banquiers centraux, et surtout du côté européen, on estime que la hausse de l'inflation est temporaire", confirme Catherine Danse, senior macroeconomist chez Belfius. "Car l'effet de base va s'estomper. Les attentes d'inflation à cinq ans sont ainsi du même niveau qu'aujourd'hui", précise-t-elle. Troisième point: les taux d'intérêt vont-ils suivre la hausse de l'inflation? Car en dépit des achats massifs d'obligations par la BCE, le taux de l'obligation à dix ans de l'État allemand, qui est la référence de la zone euro, a largement quitté ses plus bas. Or, c'est bien sur ce taux à dix ans que les banques calquent le taux affiché pour les crédits hypothécaires et les crédits d'investissement . "On s'attend à ce que le taux allemand grimpe aux environs de 0,2% d'ici la fin de l'année", précise Koen De Leus, " contre -0,2% aujourd'hui et -0,6% environ en octobre dernier". Le taux belge à 10 ans, qui affichait encore -0,3% en janvier, a pointé à +0,2% en mai, pour revenir actuellement aux environs de +0,1%. Si l'écart se maintien avec les taux allemands, on pourrait voir le taux belge à long terme dépasser la barre du demi-pour cent. En conséquence, taux hypothécaire et d'investissement pourraient prendre la direction des 2%, estime l'économiste. "La hausse des taux d'intérêt, qui va se poursuivre dans les prochains mois, resterait très mesurée à moyen terme", insiste pour sa part Catherine Danse: "le marché attend 0,10 à 0,15% de plus dans un an et 0,5 à 0,6% dans cinq ans. Des taux historiquement bas donc". Pour elle, la hausse d'ici la fin de l'année resterait limitée à un dixième de pour cent environ. Les futurs emprunteurs croiseront les doigts...