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JM-Hospitals: On est frappé en voyant le film par la grande humanité qui se dégage de ces personnes et de ces visages? Christophe Hermans: C'est ce qui m'a intéressé au premier chef: montrer la construction, l'évolution psychologique que pouvait traverser le corps médical, que ce soit les infirmier-e-s, les médecins, les femmes de ménage et montrer l'empathie dont ils font tous preuve envers les patients et leurs collègues. Je souhaitais aborder l'idée de relation. Caméra à l'épaule vous parvenez à vous rendre quasiment invisible...Comment y êtes-vous parvenu? Tout est une question de confiance dont les protagonistes peuvent faire preuve. La conscience de la caméra est toujours là, mais lorsque deux personnes sont en relation, dans des états et une situation de crise, elle devient le cadet de leur souci. Parmi les soignants, la grande majorité sont des femmes? Exactement. Je filme une scène dans cette salle de réunion où s'entretiennent les chefs, les grands médecins: que des hommes. Effectivement, il y a d'un côté les dominants, les hommes, et de l'autre les femmes qui sont dans le travail et au coeur de la bataille. Même si la profession s'ouvre de plus en plus aux hommes, le métier d'infirmier-e est encore très féminin. J'avais envie de montrer des femmes fortes, qui se battent, soulèvent, et dont la psychologie est mise à mal. Ce qui est frappant c'est le côté médecine de guerre: l'on voit des hommes et des femmes qui se battent pour la vie. Un intervenant parmi les soignants parle d'ailleurs de se blinder... Dans la seconde partie qui couvre la deuxième vague et sera diffusée en mai, l'on verra malheureusement que ce blindage ne résiste pas. Il y a eu beaucoup de burn-out, de démissions, de personnel médical malade. Quelqu'un évoque la dramatisation des médias, ce qui ironiquement et a posteriori rejoint le point de vue du documentaire de Bernard Crutzen à ce sujet? Tout à fait. Quand j'ai rencontré le corps médical de l'hôpital, il a fait preuve de beaucoup de réticence à l'égard du projet, de par la crainte de revoir ce que tous les médias montraient et ce que les autres reportages télévisés pouvaient donner à voir. J'ai proposé ma réalité, qui n'était pas du tout de faire du sensationnel à coup d'images-chocs, même s'il y en a, comme cette intubation. Mais je trouvais intéressant de traiter des médias au travers du regard que le corps médical porte à leur endroit. Eux sont noyés, sont dans leur "cocon": le regard des médias sur eux ne les aide pas. Le personnel infirmier et les médecins ont été considérés comme des héros durant la première vague, et beaucoup moins durant la deuxième: quelque part, on les a abandonnés à leur sort. C'est en tout cas ce que j'ai ressenti au travers de ce projet. Ils se disent plus armés une fois à l'intérieur de l'hôpital, sans être soumis à la psychose et la rumeur... C'est sans doute du fait de vivre quelque chose collectivement, sans compter les protections dont ils disposaient à l'hôpital, et d'être confronté à la vraie réalité. Comme dit une infirmière, je n'ai jamais vu de lits superposés, ou abandonnés dans les couloirs. Même s'il y a un manque de communication et de coordination à un certain niveau, reste qu'un schéma, notamment au niveau de l'accueil, est mis en place. Que ce soit durant la première ou la deuxième vague, l'afflux de patients qu'il a fallu pouvoir gérer au cours des deux vagues a duré au CHU entre dix et quinze jours, période où cela fut compliqué à maîtriser, car il fallait trouver des lits pour les patients Covid. Ensuite tout s'est mis en place et l'on est parvenu à maîtriser la situation au quotidien. Un membre du personnel déclare que les gens ont la série Urgences en mémoire et que les médias traditionnels font dans le spectaculaire, comme dans le cas des hôpitaux italiens... Bien sûr. Dans le deuxième film, on verra que les médias télévisuels reviennent, y compris France 2 qui était venue au CHU de Liège, lequel était soi-disant le pire endroit et le pire hôpital... En fait, il y avait un gros afflux de cas lié au fait qu'il y avait eu un match de football du Standard, avec pour résultat un énorme cluster, et donc un nombre conséquent de patients. L'on voit et l'on entend dans le documentaire que les médias cherchent à avoir des images-chocs, à construire un reportage qui sensibilise, avec des mots forts. Au sein d'un service, un soignant refuse de dire au journaliste français ce qu'il a envie d'entendre... Autre élément frappant de votre film, le côté soin par la parole pour les patients et les soignants... Il y a notamment la parole de la psychologue qui vient à la rencontre des soignants et leur permet de mettre des mots, de pouvoir exposer leurs états d'âme au cours de ce qu'ils traversent, sans les garder pour eux-mêmes. C'est le principe de la communication qui, quelque part, a été rompue par toutes les mesures établies au départ. Cette parole a une grande importance dans ce premier film, car elle permet de comprendre des corps et des psychologies en souffrance. Il en va de même pour les patients, pour qui c'est encore plus rude: ne plus avoir accès à ses proches de manière physique, seulement au travers d'une tablette. Si la famille était conviée à l'hôpital, c'était pour une mauvaise nouvelle. Quelque part, pour ces patients, être rassuré, être dans la relation, ne pouvait passer que par le personnel infirmier, les psychologues, les médecins. Je trouve formidable de voir des chefs infirmières qui vont bien au-delà du geste médical, ce qui est rassurant pour les patients: ils sont aussi des êtres humains avec des sentiments, des histoires et des parcours assez lourds.