Comment restaurer la fonction, essentielle, de latérotrusion, aux patients qui nécessitent une prothèse articulaire temporo-mandibulaire (ATM) ? En conservant le muscle et la petite partie d'os sur laquelle il s'insère pour l'intégrer à la prothèse. Mais comment insérer ce muscle ? Et quel(s) matériau(x) privilégier pour éviter une usure précoce de la prothèse et garantir une intégration optimale, sans inflammation ?

C'était l'hypothèse de départ du Pr Maurice Mommaerts, chirurgien de la face (UZ Brussel et Anvers), et aujourd'hui CEO de Cadskills, société qui conçoit différents implants biofonctionnels, et notamment de mâchoire.

" Ensemble, nous nous sommes d'abord intéressés à l'histoire des prothèses ", entame le Dr De Meurechy. Historiquement, les prothèses commercialisées fonctionnaient toutes sur le même principe : en levant l'articulation temporo-mandibulaire et les muscles alentour et les remplaçant par une prothèse... entraînant un effet statique. " Les muscles responsables des mouvements latéraux gauche-droite ne sont pas conservés avec ces prothèses. Or, quand on mange, qu'on mord, on a besoin de ce mouvement de latérotrusion pour broyer les aliments ", souligne le chirurgien.

Le scandale des prothèses au PTFE

Les moins jeunes se souviennent sans doute de l'affaire des prothèses Vitek-Kent® aux États-Unis, implantées chez des dizaines de milliers de patients au milieu des années 1980. Garnies d'une couche en Proplast-Téflon (PTFE), elles se fragmentaient à l'usage et provoquaient douleurs, inflammation et résorption osseuse, au point que bon nombre durent être explantées. Un désastre tel que les autorités exigèrent l'arrêt de toutes les prothèses temporo-mandibulaires. Il fallut des années avant de voir renaître un intérêt pour ce type d'implant et qu'une production soit relancée.

" Notre étude, avec le Pr Mommaerts, a montré que 27 prothèses étaient produites, dont deux seulement étaient approuvées par la FDA, toutes les autres étant des 'copycats' sans évaluation scientifique ", explique le Dr De Meurechy.

Les deux chirurgiens déterminent que le titane - peu allergène, contrairement au chrome cobalt naguère utilisé - est le matériau le plus efficient en termes de biocompatibilité et de durée de vie. Mais il faut lui ajouter un revêtement spécial (HadSat®) au niveau de l'articulation pour obtenir une tête condylienne (convexe) dure et lisse, assurant une fluidité, pour limiter l'usure avec la fosse (concave) en polyéthyléne (de l'UHMWPE réticulé et enrichi en vitamine E).

La prothèse articulaire temporo-mandibulaire est modélisée en titane 3D en fonction de la pathologie., Cadskills
La prothèse articulaire temporo-mandibulaire est modélisée en titane 3D en fonction de la pathologie. © Cadskills

Le Pr Mommaerts y ajoute la technique qu'il a développée, via une structure 'en nid d'abeille', pour intégrer le muscle ptérygoïdien latéral autrefois sacrifié sur l'autel des prothèses. Le tout, baptisé TMJR Parametro, est un dispositif sur-mesure imprimé en 3D.

Les différents types de patients implantables

Les patients candidats à la pose d'une telle prothèse sont âgés de 15 à 70 ans.

Un certain nombre d'entre eux souffrent d'une arthrose qui a fortement usé l'articulation et ce, parfois dès l'âge de 50 ans. " On voit aussi parfois de grosses inflammations après une élongation de la mâchoire inférieure qui modifie l'articulation, avec une résorption qui empêche de fermer la mâchoire ", illustre le chirurgien.

Parmi les accidentés, deux cas de figure : soit l'articulation est directement détruite, soit ces patients souffrent de séquelles plusieurs années après le trauma si la tête s'est un peu déplacée et qu'il y a usure. " Chez des patients plus jeunes, une trop forte récupération peut se manifester, les cellules osseuses prolifèrent et il y a fusion entre la mandibule et la base du crâne et ankylose de l'articulation temporo-mandibulaire. " Ces personnes en arrivent parfois à ne plus savoir ouvrir la bouche.

Les tumeurs et malformations congénitales sont d'autres éventualités, mais sont plus rares.

Des moutons? Mais pourquoi donc?

" Les deux prothèses qui ont leur agrément FDA ont été testées en laboratoire, mais on sait que l'usure y est bien inférieure à la réalité in vivo ", poursuit Nikolas De Meurechy. " Nous voulions par ailleurs vérifier la durée de vie de notre prothèse, et examiner l'éventuelle inflammation des tissus mous voisins. "

La prothèse en version ovine : neuf mois de rumination animale valent bien 22 ans de mastication humaine., Cadskills
La prothèse en version ovine : neuf mois de rumination animale valent bien 22 ans de mastication humaine. © Cadskills

En orthopédie, on estime que les prothèses doivent tenir 20 ans. Comment s'approcher d'un tel laps de temps in vivo ? En recourant à des moutons, qui ruminent et donc usent leurs articulations temporo-mandibulaires beaucoup plus vite que les humains. " L'étude a duré neuf mois, qui équivalent à 22 ans de mastication chez l'homme ", comptabilise le Dr De Meurechy. Les prothèses ovines explantées ont permis d'étudier l'usure tant sur la mandibule que sur la partie crânienne, ainsi que les différences entre titane revêtu ou non. Le revêtement s'est avéré utile (aucune usure) et l'inflammation très faible, sans effets cliniques. " Nous avons également observé, au niveau microscopique, radiologique et clinique (avec des caméras) si le muscle rattaché se réinsérait correctement et permettait des mouvements latéraux. Car si ça ne tient pas, le patient ne pourra plus bouger, non plus, du côté de la mâchoire non opérée. "

Certes, penserez-vous peut-être, mais l'alimentation des ovins diverge fortement de la nôtre... " Ils ouvrent moins que nous, mais le mouvement est surtout latéral, or c' était le muscle principal à évaluer pour nous ", concède le chirurgien. L'anatomie de l'articulation, extrêmement complexe, est également proche de celle de l'humain chez le lapin (mais trop petit pour une prothèse), la chèvre et la vache (mais elles mangent moins, donc l'étude aurait été beaucoup plus longue) et chez le chimpanzé (mais ce n'était éthiquement pas envisageable).

Déjà 150 patients implantés

Quatorze moutons (dont un animal témoin) ont permis la validation scientifique de la prothèse de Cadskills, qui confère une amélioration par rapport à toute arthroplastie alloplastique actuelle de l'ATM. Le Dr De Meurechy a présenté sa thèse le 21 mai dernier (" Bio-fonctionnalisation d'une prothèse articulaire temporo-mandibulaire totale sur mesure ", VUB, superviseur Pr Mommaerts), aboutissement d'une démarche initiée dès 2017, dont les résultats livrés progressivement ont été publiés au fur et à mesure dans des revues scientifiques (Int J Oral MaxillofacSurg, J Craniomaxillofac Surg, British Journal Oral Maxillofac Surg., etc.) .

Quelque 150 patients ont été implantés entre-temps (220 prothèses en tout), dont quelques francophones et plusieurs personnes venues des quatre coins du globe. Le chirurgien maxillo-facial pratique aujourd'hui à l'AZ Jan Portaels à Vilvorde et à l'hôpital Imelda à Bonheiden. Le Pr Mommaerts, lui, opère toujours à l'UZ Brussel, ainsi qu'à Anvers. Les médecins intéressés pour des cas de patients nécessitant une prothèse peuvent s'adresser à eux ou à d'autres chirurgiens qui utilisent déjà cette prothèse (Jolimont, Bruges, Genk, notamment), les chirurgiens spécialistes de la face peuvent trouver toutes les infos techniques (ainsi que les séminaires de formation) pour commander/produire des implants sur-mesure sur le site Internet de Cadskills.

Remboursement au cas par cas

" La prothèse est évidemment le dernier recours, on essaie d'abord d'autres techniques comme les infiltrations, les rinçages ", rappelle Nikolas De Meurechy. Si la pose d'une prothèse s'avère incontournable, la démarche commence par l'envoi d'un CT scan du patient, avec certains paramètres techniques, afin de réaliser un premier design qui sera envoyé par email au chirurgien. Après discussion et adaptations, la production peut être lancée. Coût ? Entre 5.000 et 7.000 euros. Une demande de remboursement peut être introduite au cas par cas (Inami et mutuelle). " La réponse prend entre six et douze semaines, mieux vaut donc le faire avant de lancer la production ", conseille le chirurgien.

Les exercices de kiné sont essentiels pour assurer, notamment, une bonne ouverture de l'articulation.

Notre interlocuteur insiste sur l'importance, ensuite, de la revalidation, une thématique qu'il a également étudiée dans le cadre de sa thèse : " Dans la littérature scientifique, en orthopédie, on trouve beaucoup de matière sur la kiné après pose d'une prothèse, mais quasi rien pour l'articulation temporo-mandibulaire, aucune grande étude n'a évalué la revalidation. J'ai donc esquissé un programme sur plusieurs semaines, qui démarre dès les premières heures après l'intervention, et qui est disponible pour tous les collègues (chapitre 12 de la thèse, NdlR) : quels exercices faire, à quels moments, etc. C'est essentiel pour améliorer l'ouverture de l'articulation et assurer de bons résultats après l'opération. "

Un follow-up des patients implantés est en cours afin d'évaluer et d'optimaliser la procédure, notamment pour assurer une intégration maximale de l'implant. " On pourrait par exemple injecter des cellules souches au niveau du muscle pour accélérer la récupération ", conclut le Dr De Meurechy.

La prothèse en version étendue pour remplacer une partie de la mandibule., Cadskills
La prothèse en version étendue pour remplacer une partie de la mandibule. © Cadskills
Comment restaurer la fonction, essentielle, de latérotrusion, aux patients qui nécessitent une prothèse articulaire temporo-mandibulaire (ATM) ? En conservant le muscle et la petite partie d'os sur laquelle il s'insère pour l'intégrer à la prothèse. Mais comment insérer ce muscle ? Et quel(s) matériau(x) privilégier pour éviter une usure précoce de la prothèse et garantir une intégration optimale, sans inflammation ?C'était l'hypothèse de départ du Pr Maurice Mommaerts, chirurgien de la face (UZ Brussel et Anvers), et aujourd'hui CEO de Cadskills, société qui conçoit différents implants biofonctionnels, et notamment de mâchoire." Ensemble, nous nous sommes d'abord intéressés à l'histoire des prothèses ", entame le Dr De Meurechy. Historiquement, les prothèses commercialisées fonctionnaient toutes sur le même principe : en levant l'articulation temporo-mandibulaire et les muscles alentour et les remplaçant par une prothèse... entraînant un effet statique. " Les muscles responsables des mouvements latéraux gauche-droite ne sont pas conservés avec ces prothèses. Or, quand on mange, qu'on mord, on a besoin de ce mouvement de latérotrusion pour broyer les aliments ", souligne le chirurgien.Les moins jeunes se souviennent sans doute de l'affaire des prothèses Vitek-Kent® aux États-Unis, implantées chez des dizaines de milliers de patients au milieu des années 1980. Garnies d'une couche en Proplast-Téflon (PTFE), elles se fragmentaient à l'usage et provoquaient douleurs, inflammation et résorption osseuse, au point que bon nombre durent être explantées. Un désastre tel que les autorités exigèrent l'arrêt de toutes les prothèses temporo-mandibulaires. Il fallut des années avant de voir renaître un intérêt pour ce type d'implant et qu'une production soit relancée." Notre étude, avec le Pr Mommaerts, a montré que 27 prothèses étaient produites, dont deux seulement étaient approuvées par la FDA, toutes les autres étant des 'copycats' sans évaluation scientifique ", explique le Dr De Meurechy.Les deux chirurgiens déterminent que le titane - peu allergène, contrairement au chrome cobalt naguère utilisé - est le matériau le plus efficient en termes de biocompatibilité et de durée de vie. Mais il faut lui ajouter un revêtement spécial (HadSat®) au niveau de l'articulation pour obtenir une tête condylienne (convexe) dure et lisse, assurant une fluidité, pour limiter l'usure avec la fosse (concave) en polyéthyléne (de l'UHMWPE réticulé et enrichi en vitamine E).Le Pr Mommaerts y ajoute la technique qu'il a développée, via une structure 'en nid d'abeille', pour intégrer le muscle ptérygoïdien latéral autrefois sacrifié sur l'autel des prothèses. Le tout, baptisé TMJR Parametro, est un dispositif sur-mesure imprimé en 3D." Les deux prothèses qui ont leur agrément FDA ont été testées en laboratoire, mais on sait que l'usure y est bien inférieure à la réalité in vivo ", poursuit Nikolas De Meurechy. " Nous voulions par ailleurs vérifier la durée de vie de notre prothèse, et examiner l'éventuelle inflammation des tissus mous voisins. "En orthopédie, on estime que les prothèses doivent tenir 20 ans. Comment s'approcher d'un tel laps de temps in vivo ? En recourant à des moutons, qui ruminent et donc usent leurs articulations temporo-mandibulaires beaucoup plus vite que les humains. " L'étude a duré neuf mois, qui équivalent à 22 ans de mastication chez l'homme ", comptabilise le Dr De Meurechy. Les prothèses ovines explantées ont permis d'étudier l'usure tant sur la mandibule que sur la partie crânienne, ainsi que les différences entre titane revêtu ou non. Le revêtement s'est avéré utile (aucune usure) et l'inflammation très faible, sans effets cliniques. " Nous avons également observé, au niveau microscopique, radiologique et clinique (avec des caméras) si le muscle rattaché se réinsérait correctement et permettait des mouvements latéraux. Car si ça ne tient pas, le patient ne pourra plus bouger, non plus, du côté de la mâchoire non opérée. "Certes, penserez-vous peut-être, mais l'alimentation des ovins diverge fortement de la nôtre... " Ils ouvrent moins que nous, mais le mouvement est surtout latéral, or c' était le muscle principal à évaluer pour nous ", concède le chirurgien. L'anatomie de l'articulation, extrêmement complexe, est également proche de celle de l'humain chez le lapin (mais trop petit pour une prothèse), la chèvre et la vache (mais elles mangent moins, donc l'étude aurait été beaucoup plus longue) et chez le chimpanzé (mais ce n'était éthiquement pas envisageable).Quatorze moutons (dont un animal témoin) ont permis la validation scientifique de la prothèse de Cadskills, qui confère une amélioration par rapport à toute arthroplastie alloplastique actuelle de l'ATM. Le Dr De Meurechy a présenté sa thèse le 21 mai dernier (" Bio-fonctionnalisation d'une prothèse articulaire temporo-mandibulaire totale sur mesure ", VUB, superviseur Pr Mommaerts), aboutissement d'une démarche initiée dès 2017, dont les résultats livrés progressivement ont été publiés au fur et à mesure dans des revues scientifiques (Int J Oral MaxillofacSurg, J Craniomaxillofac Surg, British Journal Oral Maxillofac Surg., etc.) .Quelque 150 patients ont été implantés entre-temps (220 prothèses en tout), dont quelques francophones et plusieurs personnes venues des quatre coins du globe. Le chirurgien maxillo-facial pratique aujourd'hui à l'AZ Jan Portaels à Vilvorde et à l'hôpital Imelda à Bonheiden. Le Pr Mommaerts, lui, opère toujours à l'UZ Brussel, ainsi qu'à Anvers. Les médecins intéressés pour des cas de patients nécessitant une prothèse peuvent s'adresser à eux ou à d'autres chirurgiens qui utilisent déjà cette prothèse (Jolimont, Bruges, Genk, notamment), les chirurgiens spécialistes de la face peuvent trouver toutes les infos techniques (ainsi que les séminaires de formation) pour commander/produire des implants sur-mesure sur le site Internet de Cadskills. " La prothèse est évidemment le dernier recours, on essaie d'abord d'autres techniques comme les infiltrations, les rinçages ", rappelle Nikolas De Meurechy. Si la pose d'une prothèse s'avère incontournable, la démarche commence par l'envoi d'un CT scan du patient, avec certains paramètres techniques, afin de réaliser un premier design qui sera envoyé par email au chirurgien. Après discussion et adaptations, la production peut être lancée. Coût ? Entre 5.000 et 7.000 euros. Une demande de remboursement peut être introduite au cas par cas (Inami et mutuelle). " La réponse prend entre six et douze semaines, mieux vaut donc le faire avant de lancer la production ", conseille le chirurgien.Notre interlocuteur insiste sur l'importance, ensuite, de la revalidation, une thématique qu'il a également étudiée dans le cadre de sa thèse : " Dans la littérature scientifique, en orthopédie, on trouve beaucoup de matière sur la kiné après pose d'une prothèse, mais quasi rien pour l'articulation temporo-mandibulaire, aucune grande étude n'a évalué la revalidation. J'ai donc esquissé un programme sur plusieurs semaines, qui démarre dès les premières heures après l'intervention, et qui est disponible pour tous les collègues (chapitre 12 de la thèse, NdlR) : quels exercices faire, à quels moments, etc. C'est essentiel pour améliorer l'ouverture de l'articulation et assurer de bons résultats après l'opération. "Un follow-up des patients implantés est en cours afin d'évaluer et d'optimaliser la procédure, notamment pour assurer une intégration maximale de l'implant. " On pourrait par exemple injecter des cellules souches au niveau du muscle pour accélérer la récupération ", conclut le Dr De Meurechy.