Le journal du Médecin: Vous teniez, avec cet anniversaire, à affirmer les atouts de votre hôpital. Quels sont-ils?
Alexandre Hebert: C'est un hôpital aigu de proximité. On dénombre quatre pôles d'excellence. Premier pôle: la revalidation. Nous disposons d'un pôle complet et sommes les seuls dans le Réseau hospitalier namurois (RHN) à avoir des lits d'hospitalisation classique Sp cardio-pulmonaires. Deuxième pôle: la santé mentale. Nous développons notamment l'hospitalisation de jour psychiatrique, des ateliers thérapeutiques extra-muros et des habitations protégées. Troisième pôle: les soins palliatifs, qui sont un secteur important pour nous. La responsable est aussi médecin généraliste, ce qui permet de faire le lien avec la première ligne. Quatrième pôle enfin, la gériatrie, un service en pleine expansion étant donné l'augmentation des besoins de la population à l'instar de la santé mentale par ailleurs. Il y a également, dans ce domaine, des liens qui se mettent en place avec la médecine générale. C'est beaucoup d'énergie et de travail pour une prise en charge optimale du patient.
Jérôme Massart - "Il y a quelque chose qui tout d'un coup traverse tous les étages de la structure. On a un alignement de planètes sur lequel on essaye de capitaliser le plus possible pour initier un mouvement positif.
Au sein du groupement, nous développons des synergies médicales transversales avec le CHRSM - site Meuse. Service par service, nous essayons, avec mon homologue le Dr Marc Vranckx, de créer des trajets de soins intégrés, de nommer des coordinateurs médicaux transversaux pour créer du liant entre les deux sites du groupement.
On s'intègre donc, in fine, avec la première ligne et la médecine générale, avec le groupement et avec le réseau, même si ce dernier est moins avancé.
Vous êtes tous les deux jeunes dans votre fonction. Quelles sont vos aspirations?
Jérôme Massart: J'ai 41 ans. J'ai une expérience de 17 ans en tant qu'infirmier urgentiste. À la marge, j'ai été détaché vers les SPF sur de la gestion de projet liée à l'aide médicale urgente, au 112, et à la gestion de crise. J'ai ensuite été PMO pour le CHRSM et coordinateur du PUH. J'ai également fait du coaching d'entreprise. En décembre dernier, à la retraite du directeur précédent, Bernard Delaisse, j'ai repris le poste. Pourquoi? Parce que j'ai cet hôpital dans les tripes. Je suis entré pour la première fois ici à l'âge de 17 ans pour faire un stage d'observation - je suis né à Sambreville - et je crois très fort en son identité d'hôpital à taille humaine. Ce n'est pas un slogan, c'est quelque chose de palpable et qui se ressent à tous les niveaux de la structure.
Notre travail est d'équilibrer l'offre de soins entre proximité, traitement aigu et nos pôles d'excellence. Je suis convaincu que cet hôpital a un avenir et que nous arrivons à un vrai virage de la vie de l'hôpital. Nous formons un vrai duo avec Alexandre Hebert. Nous sommes arrivés presque en même temps dans nos fonctions respectives, nous avons quasi le même âge, et nous construisons ensemble. Nous avons la même vision de l'hôpital, et c'est très motivant.
Alexandre Hebert: J'ai 39 ans. Je suis anesthésiste de formation et, étant Verviétois d'origine, j'ai commencé ma carrière au CHR de Verviers. J'ai également acquis des compétences en médecine d'urgence. Cette notion d'urgence nous rapproche Jérôme Massart et moi puisque notre profil nous aide sans doute à faire face à des prises de décisions rapides, à se détacher de nos émotions. Dès la fin de mon assistanat, j'ai suivi des cours en gestion hospitalière. Je suis devenu chef de service adjoint des urgences au CHR de Verviers qui a été une bonne école. J'ai été vice-président du Conseil médical du CHR de Verviers et secrétaire du Conseil médical du réseau Ellipse à Liège. Cela m'a donné envie de gérer davantage, même si je garde une activité clinique aux urgences.
Cette opportunité de devenir directeur médical, je l'ai lue dans le journal du Médecin. Clin d'oeil à part, j'y ai vu l'opportunité de grandir et d'élargir mes horizons. J'ai démarré à ce poste en novembre 2021. C'est un beau challenge, avec de nombreux défis à relever. Il y a un mouvement en marche et nous avons la liberté, grâce à notre directeur général Stéphane Rillaerts, de réaliser de beaux projets. Notre approche est de mener ces projets en concertation, en co-construction.
Une bonne entente avec Namur
Est-ce un hasard si vos homologues du CHRSM - site Meuse ont également le même profil que vous, soit une infirmière de formation (Nathalie Debacker) qui dirige le site et un urgentiste (Dr Marc Vranckx) comme directeur médical?
Jérôme Massart: Je pense qu'il n'y a pas énormément d'hôpitaux où la direction du site est confiée à un infirmier. C'est un beau signal vers cette profession. Mais effectivement, c'est le même schéma. Et cela joue sur la connivence entre les deux sites, indéniablement.
Alexandre Hebert: C'est un hasard, mais il y a tout de même de nombreux profils à la direction des hôpitaux qui sont originaires des urgences.
Comment se passe la collaboration au sein du groupement, justement?
Alexandre Hebert: Elle se passe bien. Le Comité de direction se réunit tous les 15 jours et nous avons beaucoup de projets médicaux à l'échelle du groupement. Il y a souvent un quatuor qui se charge de certains dossiers, voire un sextuor car nous incluons également les responsables des deux départements infirmiers.
Jérôme Massart: L'exemple doit venir de nous. Nous sortons de nombreuses années pendant lesquelles la concrétisation de ce rapprochement était difficile. Mais l'arrivée d'un nouveau directeur général en mars 2020, Stéphane Rillaerts, a changé la donne. Il a pris le dossier en main avec un plan stratégique, le comité de direction s'est fortement renouvelé avec de nouvelles personnes et une intégration plus forte des directions transversales aux deux sites. Si l'on veut que les équipes lèvent leurs craintes, cela passe d'abord et avant tout par la direction qui doit montrer que l'union fait sens.
Alexandre Hebert - "Je suis très enthousiaste à l'idée de fonctionner en réseau. J'y crois, c'est une plus-value, c'est à la fois efficace et efficient. Mais il faut avouer que les outils mis à disposition ne permettent pas d'aller bien loin.
Alexandre Hebert: L'objectif est désormais de mettre les médecins ensemble. C'est une gestion de changement, certes, mais les craintes sont peu à peu levées. L'ouverture à l'autre, c'est inévitablement renoncer un peu à ses habitudes et à son pré carré initial. C'est pour ça que l'on réalise une approche secteur par secteur, que l'on capitalise sur les réussites pour que la dynamique s'enclenche et que les dominos tombent dans le bon sens.
Jérôme Massart: Il faut aussi rassurer: chaque site garde son identité. Nous avons une gouvernance commune, des projets communs, une identité commune au sein du CHRSM. Mais nous gardons également des éléments propres à l'identité et à la culture de chaque site, par exemple cet esprit familial et de proximité sur le site Sambre. Notre rôle est de présenter le groupement comme une opportunité pour les deux sites.
Il y a quelque chose qui tout d'un coup traverse tous les étages de la structure. On a un alignement de planètes sur lequel on essaye de capitaliser le plus possible pour initier un mouvement positif.
Entre inquiétude et sérénité
La santé du CHRSM est bonne malgré les crises. Comment voyez-vous l'avenir avec la succession de crises?
Jérôme Massart: Notre plan d'infrastructure est subsidié par le plan de construction wallon. C'est donc un plan qui continue. Les coûts de l'énergie sont inquiétants. Cette augmentation risque de ne pas être tenable dans les prochains mois. On s'attend, en 2023 à voir les coûts tripler par rapport à nos coûts actuels. Cette augmentation représente plusieurs millions d'euros et il sera difficile de tenir nos comptes à l'équilibre. D'autant plus que cela ne comprend pas la hausse des coûts salariaux, des denrées alimentaires et des matériaux. Les indexations salariales ne sont compensées que plus tard par le BMF. Et nous ne pouvons pas répercuter cette hausse sur le patient. Nous sommes donc sans marge de manoeuvre.
Alexandre Hebert: Le ministre Vandenbroucke a mis 80 millions d'euros sur la table, mais ce ne sera pas assez. Aucun hôpital n'aura les marges nécessaires pour absorber la hausse des coûts.
Trouver des solutions ne se fera pas au détriment du confort du patient, ni au détriment des investissements en cours. Il faudra déployer, augmenter l'activité. On prend un risque mesuré pour faire croître l'activité et on table sur l'accroissement de l'activité pour améliorer la situation financière. Un rééquilibre des comptes passe par de l'investissement, de l'augmentation de l'activité orientés avec des approches nouvelles, technologiques, dont l'IA au service des soins de santé, une offre de soins la plus lisible possible. Cela nécessite des investissements, mais les besoins en santé ne font que grandir.
Les réseaux ne sont pas mûrs
Quelle est votre position par rapport aux réseaux?
Alexandre Hebert: Il n'y a pas encore réellement de gouvernance commune, ni de financement. Nous avons néanmoins un coordinateur du RHN à temps plein (non issu des hôpitaux du réseau) mais je trouve que nous devrions nous voir plus souvent au niveau de la gouvernance du RHN pour réfléchir et décider ensemble.
C'est donc difficile de créer des projets multisites. La loi par rapport aux groupements est claire et donne des outils qui permettent de travailler ensemble. Ce n'est pas le cas de la loi sur les réseaux hospitaliers qui entre même parfois en contradiction avec la loi sur les hôpitaux. Concernant la garde ORL par exemple, c'est aberrant de demander d'un côté à tous les hôpitaux d'organiser une garde et une disponibilité (c'est difficile à mettre en place car c'est une spécialité qui n'est pas uniquement hospitalière), et de l'autre côté de demander, par le biais des réseaux, de rationaliser l'offre de soins.
Je suis très enthousiaste à l'idée de fonctionner en réseau. J'y crois, c'est une plus-value, c'est à la fois efficace et efficient. Mais il faut avouer que les outils mis à disposition ne permettent pas d'aller bien loin. Le ministre Vandenbroucke pourrait avancer dans ce sens. Mais cela prend du temps, et la relation de confiance est moins mûre qu'au sein du groupement, c'est évident. J'estime d'ailleurs qu'un groupement est un peu une phase intermédiaire entre l'hôpital seul dans son coin et le réseau.
Jérôme Massart: On parle toujours de répartition des pôles, des projets médicaux, mais il ne faut pas oublier le patient. Il faut inclure le patient dans la réflexion de la mise en place des réseaux, car il garde une liberté de choix qui est très importante en Belgique.
La place des enjeux éthique et philosophique doit également être abordée. La politique des ressources humaines, celle des transports secondaires, de la coordination des méthodes de travail sont des enjeux cruciaux, encore peu développés. Cela va bien plus loin qu'un modèle de gouvernance. Et finalement, comment mesurera-t-on le gain d'efficience?
On a parlé des réseaux, mais il y a également la concurrence de Charleroi qui est tout proche.
Jérôme Massart: Si l'on joue à fond les éléments de notre identité: accessibilité, proximité, taille humaine et soins centrés patients , pourquoi est-ce que nos patients iraient ailleurs pour une offre de soins que nous proposons?
OK, il y a un grand hôpital qui se construit pas loin. Mais Charleroi a des besoins qui ne sont pas les nôtres. Oserais-je dire que la mission des hôpitaux n'est pas tout à fait la même?
Alexandre Hebert: L'offre de soins peut être complémentaire et différente. Le dimensionnement sera différent. Nous sommes focalisés, comme l'a dit Jérôme, sur la proximité, sur l'accessibilité notamment avec nos partenaires de soins, dont les médecins généralistes que je rencontre tous les mois et demi pour comprendre leurs besoins. On développe le concept de patient partenaire en mettant en place un comité de patients.